Patrick Cauvin ou Claude Klotz, comment faut-il vous appeler ?
C'est vrai que ça pose toujours un problème, ça... Le vrai nom est Klotz, et Cauvin est un pseudonyme. Et suivant le bouquin que je sors, je réponds une année à un nom, et l'autre à un autre, parce qu'en général – c'est pas systématique – mais j'alterne : une année Cauvin, une année Klotz... Cette année, c'est une année Klotz, donc on y va pour Klotz.

Pourquoi est-ce que vous avez pris un pseudonyme ?
C'est une histoire qui est vieille déjà, qui a plus de vingt-cinq ans. J'avais commencé à écrire sous mon nom, donc sous le nom de Klotz, des polars. Uniquement des polars. Et puis un jour j'en ai eu marre des polars, j'ai eu envie de faire une autre sorte de livres. Et c'est mon éditeur qui m'a dit « écoute, c'est des bouquins tellement différents, prends un autre nom parce que le public ne va pas s'y retrouver ». Alors j'ai accepté, et donc je suis devenu Cauvin pour un bouquin qui s'appelait L'Amour aveugle, et puis y'a eu du succès, donc ça a duré... Mais disons que je récuse le mot pseudonyme, parce qu'un pseudonyme on se cache derrière. Moi, je me cache pas, c'est-à-dire que dès le premier jour on a toujours su, j'ai toujours dit, et je vois pas pourquoi je cesserais de le dire, que Klotz et Cauvin sont une seule et même personne. C'est ça qui surprend un peu, parce que les pseudonymes, tout le monde en a, enfin dans le monde littéraire, mais peu le disent. Ca c'est une grande différence.

J'ai eu l'impression, peut-être fausse, que les romans signé Klotz étaient plus violents (je pensais en particulier à Killer kid), alors est-ce que vous avez des styles différents selon les noms pour lesquels vous écrivez ?
Oui. Alors ça c'est très bizarre mais c'est un phénomène qui se produit un peu indépendamment de moi. Bon, c'est l'histoire qui décide, j'ai une idée d'histoire et je sais que c'est pour Klotz ou pour Cauvin. Si elle est brutale, violente, policière ou sanglante, c'est Klotz qui s'y colle, sinon c'est du domaine de Cauvin. Donc c'est vrai que Klotz est noir et Cauvin plus rose.

Très souvent il y a des enfants dans vos romans, peut-être plus Cauvin (quoique). C'est à force de les avoir observés quand vous étiez prof ou c'est devenu une spécialité ?
Non, je sais pas. En plus de ça, ça a été vrai à une époque, ça l'est moins, je suis en train de me dire que les derniers bouquins, les enfants disparaissent. Peut-être parce que moi je m'éloigne de l'enfance au fur et à mesure (sourire). Mais c'est vrai que j'ai eu une époque où j'aimais beaucoup avoir des héros enfants. Alors que en fait l'enfant est très difficile à faire parler dans un livre : ça sonne pas toujours juste, il faut toujours trouver des trucs... Mais moi j'ai une grande facilité, je sais pas, j'ai jamais trop forcé. Bon, j'ai eu des enfants, j'ai été prof, ça a dû jouer sans doute. Et puis petit à petit je me suis un peu éloigné. C'est vrai que dans les derniers, on rencontre moins d'enfants, et même peut-être plus du tout... ce qui est grave, il faut que je redresse la barre (sourire).

Il y a aussi beaucoup d'humour, qui donne une fraîcheur et une légèreté du style, qui fait un style bien à vous. Vous êtes un marrant dans la vie ?
Non. Enfin non, moi pas plus qu'un autre... C'est bizarre parce que c'est une histoire qui m'a joué des tours. On peut être drôle avec une plume et du papier, et ne pas l'être vraiment dans la vie. C'est-à-dire qu'il y a eu des moments, bon j'avais écrit des bouquins qui ont semblé drôles aux gens, et certains m'ont invité en se disant « vous allez voir, on va se marrer, ce soir y'a Cauvin... » Et moi je suis pas bon à l'oral – c'est un peu comme les élèves qui passent leur examens à l'oral. Je suis pas très bon, je sentais qu'on me demandait de faire le pitre, et ça j'y arrive pas facilement, ou alors il faut vraiment des conditions exceptionnelles. Donc je sentais que je décevais les gens. Mais je crois qu'en effet avec une plume et du papier j'arrive à faire rire, de par les situations, de par les dialogues, mais ça me demande du travail, et je suis pas capable dans la vie courante d'avoir des répliques comme ça, du tac au tac. J'ai fait des émissions de radio, y'en a que j'ai refusées : j'ai refusé les Grosses têtes parce que moi je suis incapable de trouver le truc marrant comme ça, d'un coup. J'ai fait des émissions de télé abominables. Y'a des types dont c'est le métier de rigoler. Moi ça marche pas... (rires)

Quel est le livre que vous avez le plus vendu ?
De loin, c'est E=MC2, mon amour. Pour une raison simple : c'est qu'il est rentré dans le domaine scolaire. Et que, ce qui est assez marrant parce que c'est un bouquin qui a une vingtaine d'années ou plus, il s'en vend toujours le même nombre, en poche, chaque année. Donc j'ai dû dépeupler quelques forêts pour ça...(rires) J'ai même pas de chiffres à vous donner parce que c'est vraiment énorme, parce que ça s'étend sur plus de vingt ans. Dans des salons du livre, je vois des dames qui frisent la quarantaine et qui ont leurs filles avec elles et elles me disent « j'ai lu ce livre quand j'étais jeune, et ma fille à son tour, etc... ». Donc c'est un truc qui a passé une génération, je sais pas si ça va continuer. Mais de loin, c'est celui-là.

Et celui que vous considérez comme le meilleur ou dont vous êtes le plus fier ?
Ah moi j'ai toujours pensé que c'était tous de très très bons livres (rires). Je suis très vaniteux de ce point de vue là. Bon... y'en a un – alors c'est marrant parce que c'est celui qui sans doute a le moins marché – qui était un truc sur l'opéra, moi j'ai toujours aimé l'opéra, ça s'appelait Werther, ce soir. Et celui-là a moins marché que les autres parce qu'il supposait un peu un amour de l'histoire de Werther, de Goethe, et puis de l'opéra aussi. Mais je pense que c'est celui qui est peut-être un des meilleurs.

Est-ce que vous avez un maître en littérature, quelqu'un qui vous aurait donné envie d'écrire ou que vous appréciez particulièrement ?
Non, je peux pas dire... Vous savez, les livres qui marquent le plus sont ceux qu'on lit étant jeune, et moi je sais que j'ai aimé lire, j'ai aimé Alexandre Dumas, j'ai aimé Rosny avec La guerre du feu, tous les bouquins qui à cette époque-là étaient ceux des garçons de mon âge. Mais y'a pas un type que j'ai admiré par-dessus tout. Bon, plus tard j'ai aimé Céline, et puis la littérature américaine, Hemingway, Faulkner, des gens comme ça... Mais y'a pas de nom, vraiment, dont je me dise « c'était mon idole ». Pas d'idole. Il faut jamais en avoir, c'est plus sûr.

Est-ce que vous avez envie d'explorer d'autres voies, je pense par exemple à des scénarios de BD, en trouvant un collaborateur pour le dessin ?
J'ai fait ça. J'en ai fait déjà, j'ai fait un Lucky Luke, à la mort de Goscinny, un et demi, même. Je suis en train d'en faire un avec Max Cabane. Mais je vais vous dire un truc : c'est que un scénario BD c'est très long et c'est très compliqué, plus qu'un bouquin. Parce qu'il faut découper son truc en cases, il faut décrire le dessin, quand comme moi on n'est pas capable de dessiner, il faut faire les dialogues, c'est-à-dire les bulles, mettre quelquefois des indications en-dehors... ça prend beaucoup de temps. Ca prend beaucoup de temps, et puis je vais vous dire, mais ça c'est encore un truc de vanité, c'est que là j'en fais un, mais c'est un peu entre deux livres et c'est un peu pour m'amuser, mais le véritable auteur, c'est quand même le dessinateur. Donc c'est lui qui retire la gloire, alors c'est un peu emmerdant pour le scénariste. Mais bon, pourquoi pas ? J'en fais un en ce moment, enfin j'en ai fini un, c'est lui qui dessine, si ça marche, peut-être je continuerai ça. Mais c'est pas quelque chose qui me passionne.

Qu'est-ce que vous écoutez comme musique en général ?
Alors ça j'ai du retard pour la musique. J'ai des enfants en plus... Les grandes engueulades que j'ai eues avec mes gosses, toujours sympathiques quand même, ça a été sur la musique. Je suis né un petit peu avant la guerre, et ça a été l'opéra. Ca a été l'opéra tout de suite. Je suis toujours resté à des musiques avec une mélodie... Je suis à la fois très chansonnette, disons pour simplifier Aznavour, très crooner américains, disons Sinatra. Avec Verdi, Puccini, mais pas grande musique en plus, je m'ennuie à Beethoven et à Mozart, ça je dois l'avouer. Et tout ce qui a été à partir du moment où le rock démarre, avec peut-être une exception pour Presley, mais Presley me plaisait plus par ses côtés crooner que par son côté rock, mais tout le rock, le jazz, je suis passé à côté complètement. Ne parlons pas évidemment de musiques techno, rap, etc, qui m'ennuient au-delà de toute expression. Bon, il faut dire que je ne fais pas d'efforts, mais j'ai l'impression que c'est une musique qui ne me concerne pas.

Et sans aller jusqu'aux musiques rap ou techno, ce que j'appellerais variété française plus récente, par exemple Etienne Daho, Jean-Jacques Goldman, Michel Berger...
Ces trois-là m'emmerdent prodigieusement (rires). Daho je sais pas, je vois ce type se dandiner, et ça me dit rien, j'ai pas d'émotion. Bon, si j'écoute Brel, Ferré, y'a une émotion qui naît, un truc... Je sais pas, même Berger, c'est tellement gentil, c'est tellement passe-partout... je sais pas, c'est une sorte de mélodie rose bonbon qui moi m'agace énormément. Non mais j'ai mauvais goût...(rires)

Vous êtes plutôt rat des villes ou rat des champs ?
Ah complètement rat des villes. J'ai une maison à la campagne, mais j'y vais rarement, un peu l'été, et des fois les week-ends. Je ne peux pas me passer de la ville parce que même si j'en profite pas énormément, j'aime bien sentir que ce soir je peux aller au ciné, je peux aller au théâtre, dans un café, n'importe où. Complètement ville. A la campagne je dors très mal parce qu'il y a un silence abominable.

Votre style de vie idéal, ce serait quoi ?
Finalement, je vais vous dire une chose : c'est celui que j'ai. Ca j'ai une chance inouïe depuis pas mal d'années de ne pas avoir d'autre travail que celui d'écrire des livres. Bon, un scénario de temps en temps, pour une télé, n'importe quoi... Et vivre comme ça, c'est-à-dire à la fois bien parce que gagnant suffisamment d'argent, et puis avec une liberté totale, c'est-à-dire que si demain je veux pas travailler, je travaille pas, si je veux travailler une semaine à raison de douze heures par jour, je le fais... C'est le rêve.

Puisque c'est dans cette optique que je vous ai rencontré, quelle est votre position vis-à-vis d'Internet ? Pour vous, est-ce que c'est un mal nécessaire, ou un outil de communication irremplaçable... ? Est-ce que vous surfez ou pas ?
Je surfe pas du tout. Je sais pas très bien à quoi tout ça correspond...Je crois que c'est bien, moi je suis pas contre ce genre de trucs, mais pour un type comme moi ça n'amène pas grand-chose. J'ai été frappé l'autre jour, justement on discutait de communication avec un copain, de tous ces trucs qui permettent d'avoir des rapports avec des gens à l'autre bout du monde, les médias, tout ça... Bon, ce qui est très bien, et puis on s'est aperçu au bout d'un moment qu'on pouvait plus parler, parce que c'était un trottoir étroit, et ils avaient mis des plots pour les voitures et on a été séparés. C'est-à-dire que au moment où la communication se généralise, la vraie communication directe est complètement empêchée, d'une certaine façon. Alors je me méfie un peu. Je crois qu'Internet il va y avoir des retours de bâton, je vois pas encore lesquels. Mais je trouve ça bien dans l'ensemble. C'est quelque chose qui moi me sert pas, c'est un peu comme les ordinateurs. Moi j'ai pas besoin d'ordinateur : j'écris, je donne à taper, donc je fais vivre une dactylo. Si je le fais tout seul, je vois pas en quoi ça m'avance. Il faudrait d'abord que je sache bien taper, ce que je ne sais pas faire, mais disons que j'aurais une page plus propre que celle que je donne, mais ça je m'en fous. Donc ça n'a aucun intérêt.

C'est le moment de la question rituelle : et Dieu dans tout ça ?
(rires) Ah Dieu pour moi, je sais pas. Il doit me manquer une case, qui est la case du surnaturel. Je n'ai jamais cru. D'ailleurs depuis toujours. Il faut dire que j'ai pas eu d'éducation religieuse, ce qui explique peut-être... Mais quand même : les gens qui croient en Dieu m'ont toujours paru étonnants. Je regrette parfois, parce que croire en Dieu ça veut dire croire en une autre vie, ce qui est quand même bien agréable, que ça s'arrête pas comme ça, un jour, complètement. Mais je sais pas. C'est un peu comme le jazz, comme certaines musiques, y'a des trucs qui ne me concernent pas. Dieu ne me concerne pas. S'il existe, je m'en excuse auprès de lui, mais c'est comme ça.

Pour en revenir un peu plus à l'écriture, est-ce que je peux vous demander comment vous travaillez ? Est-ce que vous vous astreignez régulièrement, ou alors c'est selon les envies ?
Non non, je m'astreins. Quand j'écris un bouquin, je l'écris tous les jours entre des heures très précises qui sont neuf heures du matin jusqu'à treize heures. Puis après je m'arrête. Et je reprends le lendemain matin après avoir relu en gros ce que j'ai fait la veille. Et je continue comme ça jusqu'à ce que le bouquin soit terminé. Donc je n'attends pas du tout l'inspiration, dont je me méfie énormément. C'est vraiment un boulot. Ca vient peut-être du fait que j'ai été prof, j'aime bien m'astreindre.

Les thèmes de vos romans viennent comment ?
Ca c'est très variable. D'abord y'a les deux grandes catégories Klotz et Cauvin, c'est-à-dire polar et roman populaire, mais les thèmes ça varie beaucoup. Bon, sans doute on peut toujours trouver qu'il y a des choses qui reviennent en profondeur. Mais si un type fait trois cents livres, dans ces trois cents livres on retrouvera des thèmes récurrents, ça c'est inévitable. Mais sinon je m'efforce de changer à la fois les décors, les intrigues... Et ça je crois que c'est un souci que tous les écrivains ont, c'est d'avoir une volonté d'originalité à chaque fois, un peu de perdre son lecteur, qu'il s'y retrouve pas trop. Pas refaire en fait toujours le même livre, ce qui est désespérant.

Est-ce que vous dressez un plan, une liste des personnages... ?
Oui, je fais un peu un plan, mais pas grand-chose en fait. C'est-à-dire je sais comment le bouquin démarre, je sais comment il finit, je sais qu'il y a deux ou trois axes par lesquels je vais passer, mais c'est un plan très schématique, vraiment très sommaire. A partir de là, j'écris tous les jours, et je suis libre en fait. Il faut que j'arrive à la fin, d'une certaine façon, et je ne change jamais en cours de route, mais disons qu'il y a des personnages qui peuvent apparaître, disparaître, pour ça y'a une liberté quand même assez grande.

Les titres, vous les donnez au début, au milieu, à la fin ?
Y'a les deux cas. Et ça c'est un problème. Il y a le titre qu'on trouve en ayant l'idée du livre sans l'avoir encore écrit, et à ce moment-là c'est le bon titre, celui qui s'impose, et ça ne varie plus. Et puis il arrive que vous faites le bouquin et puis le bouquin est fini, et puis vous savez toujours pas comment vous allez l'appeler. Alors ça c'est le drame, parce que l'éditeur va vous dire « comment tu appelles ça ? – Ben je sais pas trop... » Bon, vous en discutez, y'a des rencontres, des briefings, tout ça... et en général le titre qui est choisi c'est le moins mauvais de tous mais c'est pas nécessairement le bon. Ca c'est très emmerdant. D'autant plus qu'un titre a de l'importance aujourd'hui. Parce qu'il faut vendre, hélas, vite, de plus en plus, le titre compte beaucoup, c'est un élément important de la vente.

Je vous remercie. Vous connaissez le principe du portrait chinois ; pour terminer, je vais vous demander d'établir votre autoportrait chinois :

Autoportrait chinois

Si vous étiez...

... un animal : un ours

... un végétal : un cèdre du Liban

... un plat : un dessert

... un son : un contre-ut de ténor

... un mot : romancier

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