Ne me cherchez pas, vous ne me trouverez pas. Je suis la femme de l'ombre. Celle qui exerce son pouvoir à l'insu de tous. Je suis la maîtresse du ministre. Bien plus influente que sa femme légitime. C'est que mon pouvoir a la force du secret, le poids des mots chuchotés, la lourdeur des faux-semblants. Je joue sur la peur du qu'en-dira-t-on, j'exécute ma partition en sol trompeur. Personne ne sait que j'existe : je suis un courant d'air, une porte dérobée, un trou d'une heure dans un agenda de ministre. Et pourtant je marque de mon empreinte invisible toutes les décisions de mon amant encravaté. Il ne s'en rend même pas compte, c'est peut-être cela le plus grisant. J'abandonne sans regrets les avantages du pouvoir apparent, dont les inconvénients sont bien pires ; je préfère la jouissance de l'ombre, tenir des destinées dans sa main en toute liberté, puisque personne n'est au courant. Je n'espionne pas, j'oriente. Je ne décide pas, je suggère. J'ai truqué la roulette de l'Etat et je flatte le croupier. Dans cet invraisemblable casino, comme toute bonne joueuse professionnelle j'ai réduit la part du hasard au minimum.