Le moins qu'on puisse dire, c'est que je ne fais pas dans la nouveauté. Travailler deux heures par jour, livre écrit par un collectif dénommé Adret, date en effet de 1977. Presque aussi âgé que votre serviteur, c'est dire. Pourtant cette vision de la société contemporaine n'a pas pris un gros coup de vieux, juste quelques ridules au coin des yeux.

La première partie du livre présente, compile plusieurs témoignages sur la vie au travail, le travail en général et le temps consacré, parfois aliéné à l'entreprise. Cette entrée en matière, bien que révélatrice, est effectivement un peu vieillote... c'est là qu'on s'aperçoit que les conditions de travail ont quand même évolué en trente ans (bien que je sois assez ignorant de la vie des ouvriers actuels, je l'avoue).

La seconde partie est nettement plus intéressante. Les auteurs y décrivent, chiffres à l'appui (autre détail vieillot, les chiffres des années 60), une société un peu plus juste et beaucoup plus agréable à vivre. Il ne s'agit surtout pas d'une société utopique, qui par définition est parfaite, idéale et quasiment inaccessible, mais bien d'une société différente, que l'on pourrait atteindre au prix de changements raisonnables. A commencer par une réduction volontaire de la production. En ces temps où la croissance à tout prix est encore le dogme économique, et où la notion de développement durable (quelque surprenante qu'elle soit) commence tout juste à poindre dans les domaines agricole et environnemental, voilà une décision qui ferait du bruit. Elle serait pourtant indispensable à l'émergence de cette société différente, pour éviter le gaspillage et la surconsommation ambiants. Il faudrait également que cette production s'oriente vers une plus grande durabilité des objets produits (accessible par un surcoût modeste), et en privilégiant la simplicité (pour que les réparations minimes soient accessibles aux non-spécialistes).
Mais surtout la mesure-phare de ce changement, qui a donné son titre au livre, serait la réduction du temps travaillé à deux heures par jour. Entendons-nous bien, il s'agit du travail qualifié de "lié" par les auteurs, par opposition au travail "libre". Ce travail lié est la quantité de travail incompressible nécessaire pour maintenir la production mentionnée plus haut. En répartissant plus largement cette quantité de travail, et en affectant la majorité des gains de productivité à cette réduction, on arrive bien à deux heures par jour. Eh oui, pourquoi s'arrêter brutalement à 60 ans si l'on travaille une semaine par mois (autre équivalent des deux heures par jour) ? Le travail libre, tel que les réparations diverses d'objets usuels dans des ateliers locaux, ou des activités sociales dans un cadre associatif par exemple, serait laissé au choix de chacun. Je ne m'étendrai pas sur le travail agricole, cas particulier qui nécessite un traitement spécifique.

En bref, il s'agit là d'un concept séduisant. Travailler à temps plein pendant un an, puis s'occuper à autre chose les trois années qui suivent... difficile de dire non. Pourtant, je vois mal ce concept appliqué en France. Il me semble malheureusement trop éloigné de la pensée capitaliste et individualiste dominante pour voir le jour à brève échéance. Aucun homme politique n'aurait le cran ne serait-ce que de proposer un tel modèle et de telles réformes. Elles bouleverseraient à coup sûr la vie du plus grand nombre. J'ose croire que ce serait en mieux. Tant pis.

Flânons donc.