Flâneur

Quelques mots d'un flâneur ordinaire...

lundi 25 septembre 2006

A toute allure

Tout foutait le camp. Le quartier grouillait à présent de chinois. On aurait dit qu'ils poussaient sur les arbres, ou se multipliaient tels des lapins. Non pas que ça me dérangeait, autant de chinois, mais j'avais du mal à les repérer, et dans mon métier c'est un problème. Quand on est physionomiste de profession, il faut avoir l'oeil vif, de la précision et une très bonne mémoire. La faute professionnelle, c'est de mélanger les traits des uns et des autres. Et avec tous ces chinois, je m'embrouillais les crayons comme jamais : c'était inquiétant. J'avais bien tenté de me former, j'avais même vu un documentaire sur le sujet, qui détaillait les différents points du faciès que l'on pouvait employer pour reconnaître les gens. Peine perdue. Les européens, les occidentaux en général, les noirs, les latinos, aucun problème. Mais les chinois, j'y perdais mon latin.

samedi 16 septembre 2006

Gradation

Avec la pluie d'aujourd'hui se sont envolés les ciels nocturnes de l'été. Sombres, profonds, ils ne donnaient la mesure de leur dimension que grâce au scintillement irrégulier des étoiles plus que lointaines. Celui de ce soir est laiteux, délavé, opalescent. Lumineux surtout, de ces lumières de ville oranges de sodium qu'il renvoie paresseusement vers le sol. Il n'est pourtant qu'une étape sur le chemin de l'extrême : le ciel de neige que l'on hésite même à appeler nocturne tellement il est brillant. Le tapis blanc au sol illumine de la même couleur abricotée que les lumières humaines assises à l'extrémité de leurs poteaux. Sous ce double regard allumé, le ciel floconneux d'hiver luit, sans vraiment savoir s'il ne fait pas déjà jour.

samedi 9 septembre 2006

Scène

La date du 26 avril devait rester à jamais gravée dans l'esprit de Tony. La veille, sous l'impulsion d'un client et ami, il avait, pour la première fois de sa vie, validé un bulletin à la caisse du PMU de son propre bistrot. Il avait misé sur le dernier tocard, un cheval au nom farfelu et portant le numéro 19. Et il avait assorti son pari sportif et financier d'un autre, amical celui-là, devant ses habitués : "S'il gagne, je fais 19 fois le tour de mon arrière-cour à cloche-pied avec un plateau et un demi dessus."
Tony était tranquille, il avait misé sur un tocard. Seulement voilà, il y a des miracles et même un tocard peut gagner une fois dans sa vie. Le lendemain, le numéro 19 était arrivé en tête. Tony avait dû s'exécuter, sous les commentaires hilares des habitués. Un vrai calvaire. Au bout des 19 tours, le bock était vide et Tony dégoulinait de bière et de sueur mélangées. La seule pensée qui l'avait fait tenir était la coquette somme qu'il allait empocher, à 54 contre 1.