Voilà un livre qui m'a été recommandé par un ami... il se reconnaîtra et je le remercie ici de ce conseil. C'est en effet une lecture enrichissante mais qui n'est pas de tout repos, intellectuellement parlant. Tout d'abord parce que Jack London, beaucoup plus connu pour ses romans d'aventures tels que Croc-Blanc ou L'Appel de la forêt, s'essaye avec ce recueil à l'anticipation, voire la fiction. Et l'échelle de temps n'est pas simple à suivre : les événements décrits s'étalent de 1912 à 1917, et sont relatés dans un "manuscrit" censé être écrit en 1932 mais découvert seulement en... 2368. A nous, lecteurs du XXIème siècle, de faire l'effort constant de nous souvenir que ce roman a été écrit par London en 1908. Cet effort est pourtant indispensable pour apprécier la portée des "prédictions" contenues dans Le Talon de fer.

Quelques mots de l'histoire : Avis Cunningham, jeune bourgeoise fille d'un professeur d'université en Californie, fait la connaissance d'Ernest Everhard, militant socialiste (aujourd'hui on dirait d'extrême-gauche) qui va la séduire et l'éveiller aux douloureuses conditions de vie du peuple ouvrier américain. C'est en révolutionnaire qu'elle traversera les événements tragiques qui conduiront à l'avènement d'une dictature impitoyable menée par une oligarchie financière, le Talon de fer.

Alors bien sûr, on peut considérer que cette "politique-fiction" est ratée, au regard de l'Histoire. Pas de Commune de Chicago réprimée dans un monumental bain de sang, mais une révolution russe. Une dictature (ou plusieurs) fasciste certes, mais moins fondée sur une oligarchie financière que sur une idéologie raciste. Pas de république coopérative mondiale après trois siècles de dictature, mais des régimes communistes qui s'effondrent après moins de cent ans d'existence (encore que ce dernier pari soit toujours valide... réponse dans 300 ans). Cette comparaison peu flatteuse avec l'histoire officielle incite certains à ne plus retenir du Talon de fer qu'un roman d'amour. A mon sens, ce serait une erreur.

Tout d'abord parce que l'histoire d'amour entre Ernest et Avis, bien que récurrente, occupe une place très restreinte dans le récit. On pourrait presque l'assimiler à un subterfuge littéraire, un prétexte, un liant entre les idées et anticipations politiques. Ensuite parce que ce serait méconnaître le talent didactique de Jack London. Pour qui avait des lacunes en histoire et sociologie politiques, comme c'était mon cas, les thèses marxistes sont exposées avec une clarté exemplaire. Enfin parce que - et c'est une raison suffisante pour découvrir ce livre - à y regarder de plus près, la partie futuriste n'est pas si mauvaise que cela. Qui oserait nier que c'est bien une minorité capitaliste fermée qui mène le monde aujourd'hui ? A mériter un qualificatif que chacun choisira, lucide, cynique, réaliste, pessimiste, on ajoutera que les maîtres actuels ont troqué la dictature ostensible et l'usage de la force contre une démocratie de façade, qui donne l'illusion au bon peuple qu'il se dirige lui-même.

Quand je vous disais que ce n'était pas une lecture de tout repos... mais la littérature sert aussi à ça, que le lecteur se pose des questions.

Flânons donc.