C’est bientôt l’heure. Il faut que je me fasse belle. Je m’affine, je rentre le ventre. Je me défroisse, je m’étire. C’est important pour faire bonne impression, jusque dans les coins. Je l’attends avec impatience, mon bel amant brun. Pour faire ma coquette et ne pas trop l’intimider, je me suis évidé quelques petits trous sur le côté. Il va venir et mon heure de gloire va sonner. Il commencera doucement, presque timidement, par quelques chiffres en haut à droite. Puis il s’enhardira, et de sa petite patte noire, il me caressera sur toute la largeur. Une ligne puis une autre, au gré de respirations ponctuées, et je m’adoucirai pour le laisser glisser sur moi encore et encore. Mon bonheur est éphémère, je le sais, il ne dépasse jamais trente centimètres. Pourtant j’apprécierai chaque chatouille de guillemets, chaque soupir de virgule, chaque souffle d’interrogation dans ses va-et-vient impudiques. Surtout ne pas rougir. Au contraire, blanchir. Ah, comme il est bon d’être une feuille blanche amoureuse d’un stylo !