[version anodine]
L’autre jour, je n’avais plus rien à manger : il a bien fallu que j’ouvre une boîte de conserve. Du poisson à la sauce tomate. J’ai eu beau m’y préparer, y aller doucement, décapsuler le couvercle avec précaution, quelques gouttes de sauce ont éclaboussé partout dans la cuisine. Une éponge à la main, j’ai dû tout nettoyer.

[version extraordinaire]
La famine me guettait. À croire qu’une horde de lutins avait dévoré mes provisions pendant la nuit : je me retrouvai à l’heure du déjeuner avec l’estomac dans les talons, et plus le moindre quignon de pain en vue. Miracle ! La providence m’avait entendu car elle me fit découvrir, dans le recoin d’un placard, de quoi assouvir ma faim d’ogre, sous la forme d’une boîte de conserve. Comble de félicité, il s’agissait d’un mets plus que goûteux : des filets de poisson accommodés dans une sauce tomate finement épicée. Flairant l’embûche, je me préparai et ouvris avec force précautions l’opercule métallique qui obturait le divin plat. Horreur ! Foin de mes ruses dignes d’un Sioux sur le sentier de la guerre, plusieurs gouttes du précieux liquide carmin jaillirent traîtreusement hors de l’ouverture et allèrent s’éparpiller honteusement sur les murs resplendissants de ma cuisine d’albâtre. Hors de moi, je dus me résoudre, la mort dans l’âme et l’éponge dans la main, à aller, tel Hercule nettoyant les écuries du roi Augias, effacer les traces de ces viles éclaboussures.